Parfumeur chez Flair, Amélie Bourgeois s’est confiée à Parfumista. Dans cette interview il est question de littérature, de chevaux, de botanique et de timidité. Rencontre avec une créatrice talentueuse et sensible.

amélie bourgeois et anne-sophie behaghel

1/ Bonjour Amélie, pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ?
C’était en 1998. C’est un souvenir à la fois particulier et très intime. Mon père était sous traitement de chimiothérapie et son odeur était devenue très perturbante. Je rentre pour la première fois dans une parfumerie et je découvre Déclaration de Cartier, j’ai un coup de cœur, j’achète le parfum et je lui offre. C’est ainsi que j’ai découvert les parfums.

2/ Cela vous a donné envie de devenir parfumeur ?
Oui mais bien plus tard. A l’époque j’étais en sport-études équitation et j’étais d’une grande timidité. Je me suis ensuite orientée vers l’esthétique et la cosmétologie mais j’ai rapidement compris que je préférais les parfums qu’on mettait dans les crèmes que de travailler dans l’univers du soin. J’ai fait mon stage chez Cinquième Sens où je suis restée jusqu’en 2011 après avoir été formée par Monique Schlienger pendant trois ans. Quand je suis partie, j’imaginais travailler dans une société de création olfactive mais tout le monde me disait que j’avais un profil atypique. J’ai finalement créé Flair avec Martine Denisot en 2012 et Anne-Sophie nous a rejointes 6 mois plus tard.

3/ Vous souvenez-vous de votre première création ? 
C’était Rouge Assassin de Jovoy. Au-delà de la timidité (qui m’habite toujours d’ailleurs), ce n’est pas vraiment simple d’aller voir les marques sans portfolio quand on débute dans le métier de parfumeur. Prenant mon courage à deux mains, je suis allé chez Jovoy et je rencontre François Hénin que je ne connaissais pas. Le courant passe bien et François me parle d’un nouveau projet : un parfum inspiré des années 20, des danseuses du French Cancan… Je reviens vers lui avec une proposition, dont le nom de code était Catherine. François a adoré, et il me révèle que c’est le nom de sa fille. Ça doit être le destin ! Avec Anne-Sophie, nous avons retravaillé il y a quelques années avec Jovoy pour la collection des Extraits.

amelie bourgeois eaux primordiales jovoy aether

Mimosa Supercritique (Les Eaux Primordiales), Jus Interdit (Jovoy), Atheroxyde (Aether) : quelques créations d’Amélie Bourgeois.

4/ A titre personnel, dans la vie de tous les jours quelles odeurs vous font vibrer ? Y a-t-il à l’inverse des odeurs que vous aimez moins ou pas ?
J’aime les odeurs de la nature : les plantes aromatiques de mon jardin, les pivoines, l’herbe coupée. Et plus que tout j’aime les odeurs de moissons, de graines et plus particulièrement celle de la moisson du blé. J’aime aussi les odeurs d’aiguilles de pin séchées au soleil, la bruyère, j’ai grandi dans les Landes et ça m’a bercée. A l’inverse il n’y a pas beaucoup d’odeurs que je déteste, hormis les senteurs d’urine dans les parkings.

5/ Cuisine, art, littérature, voyages… en tant que créatrice, quelles sont vos influences ?
En réalité, c’est très variable. Souvent les créateurs de marques avec qui nous travaillons sont de vrais directeurs artistiques et arrivent avec des briefs très précis. Pour moi, il suffit de me plonger dans la littérature et les idées viennent d’elles-mêmes. A l’inverse, pour d’autres marques, le point de départ est moins précis, il faut davantage échanger avec elles pour comprendre quelles notes elles apprécient, quel type de parfums elles aimeraient créer. L’inspiration ne me vient pas forcément des voyages ou de la musique, je suis plus portée par l’histoire et la littérature. Je trouve davantage d’inspiration dans des poèmes ou au gré de mes recherches : ça peut-être la calligraphie, la géographie…

6/ Vous avez travaillé avec de nombreuses marques de niche. Qu’est-ce qui fait que ça fonctionne bien avec elles selon vous ?
C’est vrai. C’est peut-être parce que nous travaillons en direct avec elles, sans intermédiaire. L’écoute est très importante, mais le temps passé aussi. Cela fidélise beaucoup les marques de niche : il y a une entente, une confiance, elles se sentent à l’aise avec nous et nous avec elles. Avec les années, de fil en aiguille, travailler pour les marques de niche est devenu notre signature.

7/ Quelles personnalités du monde de la mode et du parfum admirez-vous ?
J’ai un énorme faible pour Yves Saint Laurent. J’aime sa mode si particulière, mélange de créativité et de fausse simplicité. C’était un homme avec une vraie sensibilité, et je dois dire que sa timidité me touche. Si je dois citer un parfumeur, c’est incontestablement Jean-Claude Ellena. Dès la découverte de Déclaration en 1998, je rêvais de le rencontrer. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui pour la marque Le Couvent ; d’autant que c’est lui qui m’a choisie, j’étais très honorée.

amelie bourgeois liquides imaginaires alexandre j l orchestre le couvent bdk

Melancolia (Liquides Imaginaires), Rose Alba (Alexandre J), Cuir Kora (L’Orchestre Parfum), Rouge Smoking (BDK), Hattaï (Le Couvent, ex le Couvent des Minimes) : d’autres créations d’Amélie

8/ Quelles tendances voyez-vous pour les parfums demain ?
Je vois beaucoup de naturalité. Un grand retour à la nature : des soliflores plus simples mais aussi des colognes… Honnêtement je pense que les gourmands ont eu leur temps. Et puis en ces temps particuliers, j’imagine aussi plus de douceur et de légèreté.

9/ Si vous n’aviez pas été parfumeur, quel autre métier auriez-vous rêvé d’exercer ?
J’aurais adoré être agricultrice. Le contact avec la nature joue, mais en réalité il y a beaucoup d’agriculteurs dans ma famille, des deux côtés d’ailleurs. Plus jeune j’imaginais reprendre la ferme de mon père mais c’est mon frère qui l’a fait. Cela dit, cultiver mes propres plantes et fleurs bio, ce serait super. J’y réfléchis !

10/ Amélie, quel est votre luxe à vous ?
J’adore monter à cheval. L’équitation est une passion mais c’est un métier dur que j’ai rapidement écarté. Aujourd’hui j’ai deux juments et dès que j’ai le temps, j’en profite pour monter à cheval. C’est mon luxe à moi.

 

Photo d’entête : Amélie avec à droite sa complice Anne-Sophie Behaghel dans leur studio de création parisien (photo : Parfumista)

 

Connaissiez-vous Amélie Bourgeois ? Quel parfum présenté ici vous tente le plus ?

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7 commentaires à “Interview parfumée : Amélie Bourgeois

  1. Laure

    Je connais Amélie Bourgeois de nom et de renom. Toutefois, je n’ai jamais eu l’occasion de sentir une de ses créations dans la mesure où elle ne fait que de la niche (sauf erreur), y compris pour Dali (Ma Muse).
    Le parfum qui me tente le plus est Hattai pour le Couvent, même si la pyramide ne me correspond pas entièrement.

  2. Max

    De temps à autre, je tombe sur des articles faisant mention du Couvent et je n’arrive pas à m’empêcher de penser à leur stratégie marketing consistant à mettre en avant Jean-Claude Ellena au détriment des créateurs. Pour un artiste, sa création est un peu comme son bébé, on part de rien pour former quelque chose de beau, alors même si on se sert d’un pinceau et de peintures, d’un stylo et d’une feuille, de molécules et d’essences naturelles, c’est l’artiste qui se vide d’une partie de lui dans sa création. Toute oeuvre est une partie de lui.
    J’ai beaucoup de tristesse pour les créateurs du Couvent qui se voient évincés de leur propre oeuvre pour des questions économiques et marketing. Et j’imagine que J-C Ellena, en tant qu’artiste, doit aussi être gêné d’être mis autant en avant à leur détriment. Surtout qu’il doit travailler de concert avec eux. Je n’imagine pas qu’on puisse effacer le nom d’un chanteur sur la pochette de son album, ou un écrivain sur la couverture de son livre, alors pourquoi se le permettre avec les parfums ?
    Quant à la découverte de Mme Bourgeois du monde du parfum, je dois dire qu’elle est très triste et j’espère que la situation s’est arrangée suite à cette période. Les parfums peuvent parfois être raccrochés à des souvenirs très tristes.
    Et je trouve assez ironique que son « profil atypique » ait pu rebuter des sociétés de création… N’est-ce pas un prérequis chez les marques de niche ? En tous cas, elle semble avoir tiré son épingle du jeu et c’est un joli pied-de-nez aux conformistes !
    J’ai aussi l’impression que les odeurs de foin plaisent à Mme Bourgeois, je ne saurais être plus d’accord avec elle !
    Je n’ai pas eu le plaisir de connaître les parfums mentionnés dans cet article, mais je ne doute pas qu’une parfumeuse aussi charmante puisse créer de petites pépites.
    Je vais passer commande chez Jovoy dans peu de temps ; je m’assurerais de commander des échantillons de ses créations.
    Une très bonne continuation à elle !

    1. Parfumista

      Bonjour Max,
      Merci de votre message.
      En fait, dans les échantillons des parfums Frapin que vous avez, il y a plusieurs créations d’Amélie Bourgeois : Paradis Perdu et Laskarina.
      Bonne journée et à bientôt sur Parfumista.

      1. Max

        Bonjour,
        Malheureusement, je n’ai pas tous les échantillons des parfums Frapin… Ceux que j’ai, je les ai achetés sur le site de Nose, or, ils ne vendent ni Laskarina, ni Paradis Perdu. C’est quand même pas de chance.
        Pour Laskarina, étant donné qu’il est décrit comme féminin, j’aurais de toute façon eu du mal à l’essayer (je n’ai réussi à mettre dans mon panier Nose que 11 échantillons, et il y avait de nombreux parfums que je voulais essayer, donc j’ai dû prioriser), mais pour ce qui est de Paradis Perdu, c’est vraiment dommage, car selon les notes du parfum listées sur le site Fragrantica, le parfum doit correspondre totalement à mes goûts ! Aucune matière ne me déplaît (même si la profusion d’agrumes me fait un peu peur, la tangerine de Passion Boisée prenait beaucoup de place dans le parfum, même si ça ne l’empêchait pas d’être le meilleur de ceux que j’ai senti, à mon sens), et la plupart me plaisent énormément (galbanum, foin, vétiver, labdanum, lichen, musc, notes boisées, cèdre), donc il faudra que je cherche un échantillon quelque part. Je n’ai pas l’impression qu’il en soit disponibles sur le site de la marque. Si quelqu’un a un conseil pour en acheter un en ligne, je suis preneur !
        Par ailleurs, le hasard fait bien les choses, car en me renseignant sur les créations de Mme Bourgeois, j’ai découvert qu’elle était à l’origine de beaucoup de parfums de la maison Room 1015, or, j’avais la ferme intention de m’en procurer des échantillons en parallèle de ma commande Jovoy… avec des échantillons Heeley, Sylvaine Delacourte, Chabaud, Lubin, Olfactive Studio et Houbigant… ça va être Noël 😀
        Donc quand j’aurais reçu et essayé mes 42 nouveaux échantillons, je reviendrai donner mon avis !

        1. Max

          Je reviens à la charge après avoir reçu hier mes échantillons de la maison Room 1015.
          Yesterday : Je suis parti avec un petit a priori car la composition me faisait un peu peur. J’adore la fève tonka, j’apprécie la bergamote, le vétiver et les muscs blancs, mais le reste des notes me laisse franchement froid ! Et pourtant, sans être une révélation, on sent un parfum agréable, bien qu’un poil chaotique. Je ne le trouve pas exceptionnel, mais c’est un très bon parfum !
          Electric Wood : Sûrement celui avec lequel j’ai le plus de mal… Le duo cèdre/muscade, même si il est tempéré par l’ambroxan, reste très terreux, soutenu, je le devine, par l’iris. Dans Cacharel Pour l’Homme, tout l’aspect terreux de la muscade est évincé et c’est ce pourquoi je l’apprécie tant. Avec Electric Wood, la muscade reste fidèle à elle-même, surtout les premières minutes passée ; ça plaît à certains, mais je n’en fais pas partie…
          Blomma Cult : La première inspiration a été une vraie claque. Autant de sucre dans un si petit échantillon ?! Et pourtant, si je ne suis pas amateur de parfums sucrés/gourmands, il ne faudrait surtout pas le retirer ! Tout le charme de Blomma Cult réside dans ce côté impulsif, très « à prendre ou à laisser ». Il a toutes les caractéristiques pour être un parfum gnangnan et mielleux, mais j’ignore comment, mesdames Behaghel et Bourgeois ont créé l’exact inverse ! Caractère, impétuosité… Cet aspect gourmand/sucré additionné au côté animal du cachemire me fait beaucoup penser à Dzing! d’Olivia Giacobetti pour l’Artisan. Très jolie surprise !
          Atramental : Last, but not least, Atramental est de loin mon préféré ! Combien de parfums se servent du cuir pour mieux le noyer sous les autres ingrédients ?! En temps normal, les parfums cuirés me laissent une impression de lourdeur : le cuir reste au fond de la composition et se laisse submerger par les autres matières pour finir par alourdir de sa masse la composition finale. On ne sent pas l’odeur typique du cuir, mais ses défauts sont présents. Dans Atramental, le cuir ne reste pas au fond, tout en bas, alors que les autres matières flottent en surface. Non. Il est utilisé respectueusement, il s’affirme, il parle de lui. Mesdames Behaghel et Bourgeois nous le présentent poliment, comme un gentleman. Et quel gentleman ! Pourquoi noyer un si bel homme ? Alors à ces dames : merci de faire flotter ce cuir ! Je l’ajoute à ma liste d’achat immédiatement ! 🙂

          1. Parfumista

            Bonjour Max,
            Merci pour cette revue de parfums !
            A bientôt sur Parfumista

  3. Nine

    Bonjour,
    Je connais Aether mais je n’avais pas fait le lien avec Amelie Bourgeois, c’est donc un plaisir de la découvrir via cette interview.

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