L’automne-hiver sera intrigant avec deux compositions orientales au sillage intense. La réinterprétation de deux grands classiques de la parfumerie.

l ombre des merveilles_hermes

Deux flankers enflamment mon imagination, inspirés chacun d’un ingrédient emblématique. L’encens, élevant notre âme vers des contrées lointaines dans le nouvel opus L’Ombre des Merveilles d’Hermès. Et l’iris, poudré, enveloppant dans Shalimar Philtre de Parfum, nouvelle partition olfactive d’un sillage devenu culte, écrit par Jacques Guerlain en 1925.

Pour le premier, l’histoire débute en 2004 quand Nathalie Feisthauer et Ralf Schwieger créent Eau des Merveilles. Une surprise olfactive, pleine de poésie, sans note florale, à l’odeur légèrement animale et construite autour d’un accord inédit d’ambre gris et de bois. Cette construction anticonformiste, inspirera les parfumeurs successifs de la maison Hermès.

De L’Elixir des Merveilles (2005) à la sensualité plus boisée, en passant par les notes charnelles de l’Ambre des Merveilles (2012) de Jean-Claude Ellena, c’est au tour du nouveau parfumeur maison, Christine Nagel, de nous faire partager sa vision du monde enchanté d’Hermès.

Après L’Eau des Merveilles bleue en 2017, un boisé minéral balayé d’embruns et réchauffé de patchouli, la constellation de fragrances s’agrandit avec L’Ombre des Merveilles.

Saisir la dualité du monde, l’ombre et la lumière, ce rapport manichéen entre toutes choses, synonyme de la complexité humaine : « Pas de lumière sans ombre et pas d’ombre sans lumière » nous dit Christine Nagel.

Ce clair-obscur, propice à l’imagination, est le nouveau terrain de jeu du maître parfumeur qui, sans se détourner de la formule originelle minimaliste, lui insuffle de l’ombre. Une fève tonka, aussi noire que la nuit, apporte profondeur et sensualité au parfum. Un accord de thé noir, aromatique, fumé mais non dénué d’une certaine fraîcheur. Et l’encens, balsamique, travaillé avec légèreté, véritable colonne vertébrale, souligne des notes lumineuses d’agrumes et de bois de rose, aux effets floraux rafraîchissants. Il en résulte une sensation de légèreté, comme un voile de cachemire doux, fin et enveloppant.

Bien que présent, l’encens sait se faire discret, son parfum n’est pas connoté église et sert plutôt de montant aux autres notes, comme un sillage vers les étoiles. Un parfum émouvant, jouant de contrastes chauds-froids et de jeux de lumière, offrant au parfum de l’enchantement. Une nouvelle dimension.

Un parfum toujours capturé dans un flacon culbuto loupe, à la forme ronde, mais d’un beau dégradé, allant ici du bleu foncé crépusculaire au clair du jour, et constellé d’étoiles argentées.

Un parfum qui pourrait peut-être lui avoir été inspiré par une autre de ses œuvres, Une nuit étoilée au Bengale que Christine Nagel créa pour Baccarat 1997, nous invitant à poursuivre nos rêves.

Rêve ou réalité, il est des parfums qui restent dans nos mémoires, comme le mythique Shalimar de Guerlain, propulsant l’imaginaire collectif dans le sillage des grandes séductrices. C’est le somptueux Taj Mahal, édifié en hommage à la disparition de l’épouse favorite de l’empereur moghol Shâh Jahân, qui enflamma l’imagination de Jacques Guerlain en 1925.

Du nom des jardins qui entouraient le mausolée de Lahore et dont le nom en sanscrit signifie « Demeure de l’Amour », Shalimar évoque à lui seul tous les mystères de l’Orient… Et, en effet, il sera un des premiers orientaux de l’histoire de la parfumerie moderne.

Ce qui est étonnant et qui rajoute à sa légende, c’est qu’un nouvel ingrédient de synthèse, nommé ethylvanilline, proche de la vanille naturelle, serait à l’origine fortuite.

Convaincu que la vanille est un puissant aphrodisiaque oriental, Jacques Guerlain versa dans sa composition précédente Jicky, mélange d’aromates, d’agrumes et de lavande, un bon trait d’éthylvanilline, molécule à l’effet démultiplié, qu’il rehaussa de santal, d’épices, d’encens et d’opoponax… Le mythe Shalimar était en marche.

Mis en valeur dans un flacon Baccarat « chauve-souris » identifiable, Shalimar remportera le premier prix au salon des Arts décoratifs de 1925 et fera le tour du monde. Ce parfum est un véritable paradoxe olfactif :

-une fraîcheur hespéridée en tête par l’emploi d’une bergamote surdosée (30 %) et d’une lavande aromatique,

-un cœur évanescent de jasmin Sambac d’Inde et de rose turque et un fond diablement voluptueux où la vanille prédomine, boostée de fève tonka, enrobée d’iris poudré, baumée d’opoponax, de benjoin, de baume du Pérou et boisée par un santal doux et un patchouli sombre.

Un fond hautement balsamique, appelé Guerlinade et qui sera la signature emblématique de la marque Guerlain au fil des générations, légèrement ajustée selon les créations.

shalimar philtre de parfum

Shalimar continue son destin aujourd’hui, avec des variations communément appelés flankers, plus ou moins proches de la formule originelle.

Modernisée par Thierry Wasser qui doit aussi respecter les nouvelles normes réglementaires de l’IFRA, Eau de Shalimar, plus hespéridée paraît en 2008. Puis en 2011, Shalimar Parfum initial plus aérien, et en 2014, Shalimar Souffle de Parfum, une réécriture où bergamote, citron et muscs blancs donnent une nouvelle tonalité au jus originel.

Cependant, bien que les flacons soient toujours splendides, je ne me souviens pas avoir ressenti la magie du Shalimar que portait ma maman lorsqu’elle sortait le soir et qui devait dans les années 70 ressembler plus à l’original de 1925, j’imagine !

Faisant fi de cette rondeur cuirée animale, apportée aussi autrefois par la civette, restreignant la bergamote, accusée par l’IFRA d’être allergisante : un Shalimar pour moi peu à peu dilué surfant sur des variations évoquant parfois même d’autres parfums. Jusqu’à ce Philtre de parfum. Et là, j’exulte : le philtre renaît tel un phénix !

La fraîcheur n’est pas crissante, le citron ne prend pas le dessus ; des notes poudrées d’iris en majesté, la violette, la coumarine et la fève tonka jaillissent dans un jardin comme suspendu. Une surdose de vanille et de baume de tolu apporte beaucoup de rondeur, voire un côté gourmand au sillage enveloppant. J’y entrevois même une sensation cuirée, charnelle, grâce à l’effet résineux du labdanum et à un patchouli terreux qui prolonge aussi l’effet racine d’iris.

Là aussi, Shalimar semble jouer une partition ambrée orientale, entre lumière et ombre ! Certes, le côté vanillé est rapidement omniprésent, sans développer, à mon sens, l’effet encens et boisé, plus présent dans l’original. Mais, quand on a tant espéré, le charme opère.

C’est, je trouve, un parfum intergénérationnel qui reséduira les plus anciens et fera découvrir aux plus jeunes un patrimoine olfactif exceptionnel.

Porter Shalimar, écrivait Jacques Guerlain, c’est laisser ses sens prendre le pouvoir. Merci Thierry Wasser d’avoir d’une certaine manière ressuscité ce mythique Shalimar !

 

Avez-vous senti ces 2 créations ? Et vous quelles sont vos versions préférées d’Eau des Merveilles et de Shalimar ?

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2 commentaires à “L’Ombre des Merveilles, Shalimar Philtre de Parfum : Orient rêvé

  1. Laure

    Bonsoir,
    Merci pour ce nouveau billet.
    Je n’ai senti, du moins pour le moment, aucune de ces deux nouvelles déclinaisons.
    Portant l’Eau des Merveilles, l’Elixir des Merveilles reste mon flanker préféré, très évocateur de l’ambiance de Noël.
    En ce qui concerne Shalimar, Shalimar Lignt de Mathilde Laurent a été un véritable coup de coeur, mais cette version a été très éphémère…
    Bonne soirée parfumée

    1. Parfumista

      Merci Laure.
      Ces deux variations devraient assurément vous intéresser.
      Que vous les adoptiez ou non, elles ne manquent pas de charme et sont loin des sucreries commerciales des Sephonaucibé que vous aimez tant 😉 Les gourmandises de Noël, bien sûr, c’est une autre histoire.
      A bientôt…

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