Onirique, dépaysant, sensuel, Un jardin sur la Lagune revisite à sa façon le thème océanique cher aux années 90. C’est un Hermès d’un nouveau genre qui plaît ou déplaît mais qui ne laisse pas insensible.
Cette sixième fragrance de la maison Hermès poursuit la collection des Parfums Jardins, initiée par Jean-Claude Ellena en 2004 avec Un jardin en Méditerranée, caractérisé par son odeur feuilles de figuier. S’en suivront des œuvres poétiques évoquant des jardins lointains, telles des toiles impressionnistes : Un jardin sur le Nil (2005), à odeur verte de mangue, Un jardin après la mousson (2008), à odeur de gingembre âpre, Un jardin sur le toit (2011), au bouquet pastel de roses fraîches et Le jardin de Monsieur Li (2015), évanescent comme l’air.
C’est Christine Nagel, désormais à la création, qui poursuit ce vagabondage olfactif en nous entraînant, cette fois-ci, dans un jardin secret de la cité lacustre de Venise. Pour traduire l’atmosphère d’Un jardin sur la Lagune, jardin de l’île de la Giudecca ayant appartenu à un lord Anglais, Frederic Eden, elle y est venue à chaque saison en rapporter un élément, qui au fil de sa mémoire s’est mué en une impression olfactive, comme un rêve qu’elle a voulu « condenser ».
Son parfum est un souffle fleuri, solaire et frais, baigné d’agrumes et de notes aquatiques, salées, qui retranscrit l’idée de cette cité sur l’eau où la nature s’est frayée, malgré des conditions défavorables, un chemin. Un trio de fleurs blanches solaires, lys de la Madone, magnolia et pittosporum, dégage une impression lumineuse et radieuse.
Au contact du magnolia, doux et suave, l’élégance d’un lys recréé (fleur muette) se fait moins poivrée, plus vanillée et légèrement citronnée. Cette entrée épicée n’est pas sans rappeler une autre composition de Christine Nagel, Twilly, où une note piquante de gingembre, dépayse. Puis, le pittosporum, à odeur de fleur d’oranger miellée, renforce l’impression solaire typiquement méditerranéenne. Mais, c’est la fraîcheur de notes aquatiques salées, comme une brise venue de la mer non loin, qui apporte du souffle à ce bouquet floral blanc. Un souffle comme une caresse mouillée sur la peau…
L’ensemble se floute ensuite progressivement et la fraîcheur initiale s’efface à la profondeur chaleureuse de notes boisées, qui renvoient aux racines, aux arbres, à la terre de ce jardin vénitien. La rondeur des bois ambrés et leur intensité, typiquement utilisés en notes de fond en parfumerie masculine, permet de soutenir plus longtemps ce cœur floral sensuel rafraîchi d’embruns. Certains lui reprochent d’être du coup moins délicat, trop tenace et d’être moins représentatif de l’image « pastel » de la collection des jardins. Ces bois laisseraient sur peau une odeur persistante un peu trop piquante, peu naturelle.
Autre élément potentiellement clivant du parfum, c’est son caractère aqueux ; les parfums iodés et marins ayant toujours divisé. En ce sens, Un jardin sur la Lagune s’inscrit dans la lignée des parfums floraux aquatiques, amorcée dans les années 1990. Ce sont au départ des parfums féminins avec New West for Her d’Yves Tanguy pour Aramis, puis Escape pour femme de Jean-Marie Santantoni pour Calvin Klein, en 1991. La tendance masculine va démarrer avec Kenzo pour Homme de Christian Mathieu, en 1991, puis l’Eau d’Issey de Jacques Cavallier pour Issey Miyake en 1992 et 1994 pour le masculin. Ces parfums prônant un retour à la naturalité et à l’authenticité, utilisaient pour recréer l’odeur de l’eau une molécule de synthèse : la calone, à odeur de melon d’eau à faible dose, plus huître en surdosage.
Ce nouveau concept surfait sur la vague du fresh and clean américain, à tendance minimaliste (souvenez-vous de ck one de Calvin Klein !). Ce qui n’était pas franchement gagné au départ, après les années d’opulence des parfums orientaux des années 80. L’eau devint symbole de vie, d’horizons lointains et de départ. Ces notes marines se firent peu à peu moins iodées, avec l’association d’autres molécules, à suggestion végétale comme l’aldéhyde cyclamen, ou aérienne comme l’hédione de Noa de Cacharel (1998).
Ces parfums s’agrémentèrent peu à peu de fleurs douces et aquatiques, de fruits, de notes aromatiques… On retiendra Acqua di Giò (agrumes et menthe) et plus récemment Acqua di Gioia (fruit de la passion et agrumes) d’Armani, Rem de Réminiscence et ses accents d’ambre solaire. Ou encore L’eau des merveilles bleue d’Hermès, plus près de nous, où l’ambre gris encense ce besoin de sérénité.
Aujourd’hui les parfumeurs répondent toujours à cette forme olfactive mais en surévaluant son effet. Ainsi, les gens veulent sentir leurs parfums sans les imposer aux autres mais en les ressentant longtemps. A mon sens, Christine Nagel répond ici parfaitement à cette attente ; ses « bois qui piquent » augmentent la diffusion du cœur floral et laissent une empreinte boisée sur peau plus tenace. Ils peuvent aussi être une alternative à ceux qui veulent un vrai parfum frais mais sensuel, à ceux qui veulent plus qu’une cologne qui sente l’été et les agrumes comme y parvient Eau de citron noir. Egalement conçue par Christine Nagel, c’est une cologne dernière génération, à la tête fraîche et incisive de citron mais au fond plus boisé et généreux.
Ce fond boisé, en opposition à la fraîcheur, participe également à l’originalité d’Un jardin sur la Lagune en proposant une élégance intrigante à l’androgynie olfactive. Il est aussi d’une certaine façon un lien entre la terre et l’eau de la lagune.
Au final, Un jardin sur la Lagune est une nouvelle écriture des jardins d’Hermès, plus présente, traitée différemment de la parfumerie de Jean-Claude Ellena qui travaillait ses créations davantage comme des aquarelles ou comme des vues de l’esprit pas forcément destinées à être portées. Il dit un jour en effet « J’aimerais que les parfums ne soient pas portés, parce que je les vois comme des œuvres artistiques ». Ce qui ne manqua pas de susciter là aussi quelques surprises et polémiques.
Pour moi, Un jardin sur la Lagune pourrait suggérer une sieste maritime à l’ombre d’un magnolia en fleurs, une sieste qui dure… longtemps.
Et vous, que pensez-vous d’Un jardin sur la Lagune ? Quel est votre Jardin d’Hermès préféré ?
21 personnes aiment cet article.
Bonjour,
Très bel article, bien documenté et passionnant.
Prochainement j’irai renifler chez Hermès cette dernière création ainsi que Eau de citron noir !
Merci et bel été parfumé à toutes et tous !
Bonjour Daniel,
Merci de votre message.
Et merci à Marie-Solange pour cette belle analyse d’Un Jardin sur la Lagune.
Un parfum qui traite le thème aqueux sous un angle original. Un parfum que l’on aime sentir sur soi ou sur les autres ou que l’on n’aime pas du tout. Un parfum qui ne laisse pas indifférent, c’est déjà pas mal !
Bonjour,
Le ressenti d’un parfum est toujours subjectif.
Si je n’adhère qu’aux deux premiers opus (Méditerranée et Nil), il y avait aussi au moins une cohérence et une vision et une certaine naturalité (végétale ou minérale).
La seule chose que cette lagune m’évoque c’est la station service, l’odeur d’essence, d’huile de moteur et des travailleurs…
Pour moi ce nouveau jardin est plutôt un jardin sur la « lacune ».
Bonjour,
Je fais partie de ceux qui se méfient des aquatiques en général.
La description, le ressenti de Marie-Solange Galzy sont tels, que j’ai bien envie de sentir Un Jardin sur la Lagune si je le croise.
Et sinon je suis une inconditionnelle d’Un Jardin en Méditerranée qui nous offre toutes les facettes de cette région : figues, épices, notes vertes…
Un article long… et c’est tant mieux ! Il est très bien construit et enrichissant, j’adore !
Après, vais-je me pencher sur Un jardin sur la lagune ? Je dois dire que mes expériences en matière de parfums aquatiques se sont fait du côté bon marché avec Brut Ocean qui pour le coup ne cherchait pas à faire dans le naturel : certes l’aspect aquatique et océanique était fidèle à ce qu’on pouvait en attendre, mais il ne parvient pas à éviter l’écueil du synthétique, cette fameuse note « douceur marine du déo pour chiottes » (pardonnez l’expression). Un effort était-il même fait pour éviter cette erreur ? Même si je ne le porte définitivement plus, il m’arrive de le ressortir de temps en temps pour me rappeler de cette époque où j’étais trop fauché pour m’acheter un parfum de la moyenne distribution…
Ma deuxième approche fut certainement l’Eau d’Issey. Et là aussi, l’aspect désodorisant est flagrant… et même plus que Brut Ocean !
Alors je dois dire que j’ai quelques réticences à m’engager sur la voie du parfum aquatique et des quelques formules « sport » des grands titres de la parfumerie. Même Un Air de Bretagne de l’Artisan ne me fait pas envie. C’est dire !
Merci de votre message qui nous a bien fait rire.
La calone est une note aquatique vraiment très marquée dans les parfums des années 90. Aujourd’hui, un tel dosage est perçu comme excessif et d’autres ingrédients plus subtils existent.
La rose, présente dans l’Eau d’Issey femme, peut aussi avoir un effet toilettes comme peuvent l’être malheureusement le muguet et la lavande pour d’autres, mais en tout cas associée à la calone, la rose est assez clivante. Dans l’Eau d’Issey pour homme, les notes aquatiques sont associées à une giclée d’agrumes, à des bois et à une bonne dose de dihydromyrcenol.
C’est cet ingrédient qui définirait le plus la note que vous évoquez. Elle n’est malheureusement pas associée uniquement aux parfums marins mais à un très grand nombre de parfums masculins dont les fougères. Associé à des notes marines et à quelques touches fruitées, le dihydromyrcenol a un effet clean mais vraiment pas très chic.
A côté, Un Air de Bretagne et Un Jardin sur la Lagune sont des trésors de subtilité. Ce qui n’empêche pas d’avoir le droit de les détester 😉
Bon week-end et à bientôt sur Parfumista
Personnellement ce n’est pas celui qui « parle » le plus à mes sens dans cette gamme.
Quant à moi, je préfère, par exemple, Le Jardin de M. Li, Un jardin sur le toit, celui en Méditerranée voire sur le Nil.
Cependant, il en faut pour tous et nul doute qu’il trouvera ses aficionados…
Un jardin sur la lagune évoque pour moi un instant rempli de zénitude florale, secrète et rosée, avec des élans d’embuns marins bien présents qui frémissent sur le sable.
Pour moi, c’est un coup de foudre ce Jardin sur la lagune.
Tout comme j’avais adoré New West d’Aramis dans les années 90… enfin le retour d’un parfum sucré-salé !
Avec un jardin sur le Nil ce sont mes deux préférés.
Les autres sont trop fruités et citronnés comme Mr Li et Un jardin sur le toit que je déteste (se parfumer à la pomme, non merci).
Moi qui cherchais un avis éclairé sur ce parfum, hésitant à l’acheter, et bien c’est chose faite…
Merci pour votre description riche en images et sensations.
Je change rarement de parfum, actuellement je porte l’Eau d’Orange verte (Hermès toujours), mais j’ai envie d’opter pour quelque chose de plus sensuel, tout en gardant une vraie profondeur et un fond plutôt « masculin ».
Je pense qu’au-delà de l’odeur, on choisit un parfum aussi pour l’histoire et l’univers dans lequel il nous transporte… vous m’avez convaincue !
Bonnes fêtes à vous