Parfumeur dans la société de création IFF, Domitille Michalon Bertier s’est confiée à Parfumista sur son métier. Dans cette interview, il est question de parfums mais aussi d’art, de mode, de voyage et de cuisine. Rencontre avec une créatrice de parfums discrète, talentueuse et passionnante.
1/ Bonjour Domitille. Pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ?
Ma rencontre avec le parfum est partagée entre les effluves de Shalimar ou de l’Heure Bleue, symboles d’une sophistication parisienne… et celles d’une nature brute et luxuriante, boisée et verte, de mon séjour d’enfance au Vanuatu, îles du Pacifique Sud.
2/ Vous souvenez-vous de votre première création ?
Ma première création est By Woman de Dolce & Gabbana. Ce parfum s’est inscrit dans une démarche pionnière d’innovation, intégrant les premières expérimentations de living*, en l’occurrence celle du lys tigré.
3/ Dans la vie de tous les jours quelles odeurs vous font vibrer ? Quelles odeurs aimez-vous moins ou pas ?
Je retiendrais la graine de coriandre pour son côté fin et incisif. La cardamome, pour sa fraîcheur et son fusant. Le santal pour son crémeux et son lacté. Le café ainsi que le thé lapsang souchong pour son fumé. Certaines associations, en revanche, ne me semblent pas heureuses : les odeurs de chocolat à la menthe ou celles des desserts lactés aux fruits exotiques.
4/ Cuisine, art, voyages… en tant que créatrice, quelles sont vos influences ? Avez-vous quelques anecdotes à ce sujet ?
Je puise mon inspiration dans mes voyages imaginaires, au gré de mes lectures. Je pense aux Délices de Tokyo de Durian Sukegawa, qui ont gravé dans ma mémoire un souvenir de desserts réalisés avec une pâte de haricot rouge. Les émotions visuelles m’influencent aussi, elles peuvent provenir d’une œuvre d’art, à l’instar du bal des débutantes de Claire Tabouret ou d’une exposition, comme « Candy » de Felix Gonzalez-Torres au MoMA. Elle peut aussi surgir de rencontres gustatives telles que le dîner exceptionnel autour de légumes et de fruits chez Arpège**.
5/ Une destination de voyage qui vous a enthousiasmée… voire inspiré un parfum ?
Mon voyage récent au Rajasthan m’a beaucoup enthousiasmée et m’a nourrie visuellement et olfactivement. Je travaille actuellement un carnet de voyage olfactif autour du thème de l’Inde : santal fumé, épices et thé masala sont quelques-uns des ingrédients à l’honneur.
6/ Quelles personnalités du monde de la mode et du parfum admirez-vous ?
J’admire Olivier Saillard***, directeur du palais Galliera, pour sa qualité de mise en scène des génies de la mode. Ainsi qu’Edmond Roudnitska, maître parfumeur et créateur de l’Eau Sauvage de Dior, pour son approche intellectuelle de la création olfactive. Il a érigé le parfum au statut de création artistique, bien plus qu’une réalisation purement technique.
7/ Quel(s) parfum(s) d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ?
L’Eau des Merveilles et Féminité du Bois.
8/ Lors du dernier Speed Smelling IFF****, vous avez créé un parfum de tabac animalisé sans tabac, sans mousse et sans notes animales. La législation (et parfois aussi les contraintes des marques) ne devient-elle pas trop stricte année après année ? Est-ce un challenge créatif pour les parfumeurs ?
La législation fixe effectivement des contraintes, issues de l’amélioration de la connaissance intrinsèque des ingrédients et de leurs effets potentiellement toxiques. Ce qui est non négociable pour moi ! Mais ces contraintes deviennent un challenge créatif et une opportunité dans l’innovation de nouveaux ingrédients.
9/ Vous qui aimez innover (on se souvient de la note d’edamame de B. Balenciaga), quelles tendances originales voyez-vous pour les prochaines années ?
Les bois et les fougères, pour elle, qui affirment une nouvelle féminité plus contrastée et plus texturée. Pour lui, les fleurs et les addictions, qui affirment une part de tendresse et de sensualité.
10/ Intéressant ! Aujourd’hui, nos lecteurs ont parfois l’impression que les marques ne lancent que des senteurs gourmandes. La tendance est-elle partie pour durer ?
La tendance du gourmand existe en fait depuis longtemps. Elle est le témoin d’un désir des consommateurs d’aller vers des odeurs rassurantes. Néanmoins, la tendance évolue vers une forme d’amertume et d’astringence.
11/ Si vous n’aviez pas été parfumeur, quel autre métier auriez-vous rêvé d’exercer ?
J’aurais été architecte. Ce métier utilise également un savoir technique fort et une puissance créative pour construire une œuvre en 3D.
12/ Domitille Michalon Bertier, quel est votre luxe à vous ?
Le temps, le délice de l’ennui et du silence.
(*) Les Living flowers sont des extraits obtenus par une technologie de headspace propre à IFF. Le headspace permet de reproduire le parfum d’une fleur en capturant son odeur dans la nature, notamment quand la distillation n’est pas possible, ce qui est le cas avec le lys mais aussi d’autres fleurs (on parle souvent alors de « fleurs muettes »).
(**) Arpège est le restaurant du chef Alain Passard, situé à Paris. Il bénéficie de 3 étoiles au Guide Michelin en 2017.
(***) Olivier Saillard est historien de la mode. Il devient directeur du Palais Galliera en 2010, activité qu’il quitte début 2018 pour devenir directeur artistique de la marque de luxe Weston.
(****) Le Speed Smelling est un événement professionnel où chaque parfumeur d’IFF présente à la presse un parfum avec une liberté de création totale. A la façon du speed dating, les parfums sont sentis les uns après les autres en 7 minutes lors d’un entretien court avec un parfumeur, puis un autre, etc.
Et vous, connaissiez-vous Domitille ? Quel parfum ou tendance olfactive évoqué(e) ici vous tente le plus ?
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Bonjour,
Alors oui, j’avais entendu parler de Domitille Michalon Bertier, mais uniquement en référence à des créations de parfums.
Merci pour cette interview passionnante et instructive 🙂
Bonjour Laure,
Merci de votre message.
Vous aviez testé B. Balenciaga ?
PS : Nous avons prévu une autre interview intéressante dans les prochaines semaines. 😉
Bonsoir, je n’avais pas aimé Flowerbomb, mais je vais de ce pas le re-sentir après avoir lu l’interview de sa créatrice dont je partage toutes références… jusqu’à la pâte de haricot rouge, le droit à l’ennui et le goût du silence.
Bonjour Diane,
Flowerbomb est une création à plusieurs nez.
C’est un parfum gourmand mais précurseur aux gourmands actuels, qui sont beaucoup plus sucrés.
Par comparaison, il est plus raffiné ou complexe… au même titre qu’Angel, qu’on perçoit aujourd’hui différemment de lors de son lancement en 1992.
Je connais Domitille Bertier grâce à « Quelques Notes d’Amour » pour Yves Rocher.
J’aime beaucoup cette fragrance que j’utilise depuis son lancement.
C’est une excellente eau de parfum très féminine, un régal fleuri et gourmand.