Créateur de la marque Parfum d’Empire, Marc-Antoine Corticchiato s’est confié à Parfumista. Il nous parle de son métier, de ses sources d’inspiration et nous explique pourquoi il aime aussi bien les végétaux que l’odeur du métro ! Un parfumeur talentueux et résolument atypique.
1/ Bonjour Marc-Antoine, parlez-nous de votre première rencontre avec le parfum.
Ma première rencontre avec le parfum est liée aux environnements olfactifs forts dans lesquels je suis né et j’ai grandi : l’orangeraie de mes parents au Maroc, le maquis corse, les écuries… Lors de mes études de chimie plus tard, j’ai étudié plus particulièrement la chimie des plantes à parfum, notamment par résonance magnétique nucléaire du carbone 13.
2/ Etonnant ! Et est-ce que vous vous souvenez-vous du premier parfum que vous ayez porté ?
Le parfum que j’ai le plus porté quand j’étais jeune, c’est probablement Aramis 900 d’Aramis, qui était en fait la formule d’Aromatics Elixir (Clinique) en moins concentré.
3/ Comment avez-vous vécu de recevoir deux fois le prix du meilleur parfum de niche, tout d’abord pour Corsica Furiosa en 2015 et pour Tabac Tabou en 2016 ? Est-ce que ça a changé votre façon de créer ? Est-ce que ça vous a donné de nouvelles envies ou de nouvelles pistes créatives… ou le syndrome de la page blanche ?
J’ai été heureux de recevoir ces deux Fifi Awards. Déjà parce que ce sont deux parfums qui me sont chers, dans lequel j’ai mis beaucoup de temps et de passion. De plus, en récompensant par deux fois Parfum d’Empire, la Fragrance Foundation a soutenu une marque indépendante, artisanale, à l’heure où sont rachetés par les grands groupes industriels les pionniers de la parfumerie de niche. Sinon, sur le plan de la création, cela n’a aucune incidence…
4/ Cuisine, art, littérature, voyages, rencontres… en tant que créateur, quelles sont vos influences ?
Les sources d’inspiration sont multiples, mais il y a derrière une curiosité que je trouve importante de cultiver. Être au monde, être connecté à tous les éléments qui peuvent donner une impulsion au quotidien : une association culinaire inattendue, une sculpture, un paysage, parfois même au détour d’une rue, de simples lumières ou de simples couleurs peuvent m’inspirer. Il suffit d’une connexion avec le langage olfactif qui est celui que j’utilise pour Parfum d’Empire pour que naisse une idée… Puis des essais, et parfois un parfum.
5/ Pour votre dernière création, Le Cri, vous avez travaillé des ingrédients nobles dans une structure atypique. Le nom aussi est atypique. Quelle était votre idée première ?
Je voulais un cri, un cri de renaissance ! Je voyais la lumière d’un nouveau jour, quelque chose de positif, le tout dans une écriture plus dépouillée et plus abstraite. Cette lumière, je lui trouvais des liens forts avec certaines facettes de la graine d’ambrette, capable d’évoquer le cristallin de l’eau-de-vie et la blancheur poudrée de certains levers de soleil. L’iris vient soutenir la graine d’ambrette tout au long de l’évolution quand les aldéhydes participent à l’impression d’éclat et viennent apporter des nuances plus vives et nerveuses. Je ne voulais pas d’un parfum monolithique et trop direct, Le Cri est pour moi un parfum plein de facettes, évolutif et surprenant.
6/ Quel(s) parfum(s) d’un autre parfumeur auriez-vous aimé créer ?
Je suis toujours admiratif des parfums qui surgissent, vous prennent et vous émeuvent dans leurs sillages. Je pense qu’un parfum comme Aromatics Elixir est incroyable sur ce point : c’est une bombe technique et une signature sans pareille. Un accord parfait. Je trouve Dior Homme également merveilleux.
7/ Vous créez aussi pour d’autres marques que la vôtre. Ce n’est pas votre univers, mais c’est votre écriture : n’est-ce pas paradoxal pour un parfumeur créateur ?
C’est pourtant le quotidien de la quasi-totalité des parfumeurs ! Nous sommes très peu à avoir une marque où nous exprimer librement à travers les parfums que nous créons. C’est une chance incroyable pour moi que d’avoir Parfum d’Empire où m’exprimer librement. L’indépendance est un combat de tous les jours, encore plus aujourd’hui, mais il en vaut bien la peine. Mais je ne renie pas les travaux que je peux faire pour d’autres marques ou certains projets artistiques. Les idées apportées, les défis à relever sont parfois très excitants et me permettent aussi d’explorer des territoires vers lesquels je ne serais pas forcément allé tout seul.
8/ C’est plus facile de créer pour d’autres ?
C’est indéniablement plus facile, pour moi, de créer pour d’autres car c’est au client de choisir et de valider quand bon lui semble. Même si cela peut être parfois un peu frustrant.
9/ A titre personnel, dans la vie de tous les jours quelles odeurs vous font vibrer ? Quelles odeurs vous aimez moins / n’aimez pas ?
Les odeurs de la nature qui témoignent des différentes saisons peuvent me rendre dingo. Et j’ai une affection particulière pour l’odeur du métro. Elle me rappelle les premières fois où je suis arrivé à Paris, après avoir grandi au Maroc et en Corse. Cette odeur est pour moi celle de la liberté, cette liberté fougueuse que l’on a quand on découvre tout un univers qui s’ouvre à nous. Les odeurs rédhibitoires : incontestablement la mauvaise haleine. C’est une hantise pour moi. Et ça fait partie de mes névroses.
10/ Vous créez vous-même vos parfums, ce qui est rare pour une marque de niche. Que pensez-vous des créateurs de marques de niche (ou de couture parfois) qui laissent croire qu’ils composent les parfums eux-mêmes ? Ça vous agace ?
C’est de la communication, comme il y en a toujours eu. A titre personnel, ça me passe au-dessus de la tête. A chacun sa philosophie de vie. Je suis parfois un peu surpris de voir des gens qui passent leur temps à se raconter tant de mensonges alors qu’il me semble que quand on évolue dans sa vie on essaye le plus possible de se rapprocher de soi, de ce qu’on est vraiment.
11/ Si vous n’aviez pas été parfumeur, quel autre métier auriez-vous rêvé d’exercer ?
J’ai failli embrasser une carrière de cavalier, l’univers hippique m’étant très cher. Sinon, j’aurais beaucoup aimé être paysagiste. C’est un métier où il est possible d’exprimer beaucoup d’idées à travers les plantes, les arbres ou les topographies.
12/ Marc-Antoine, quel est votre luxe à vous ?
Avoir la RÉELLE liberté de choisir les thèmes et les matières premières de mes parfums, dans les quantités que je veux. Et j’en remercie le ciel tous les jours car j’ai pleinement conscience que c’est exceptionnel dans mon métier.
Et vous, connaissiez-vous Marc-Antoine ? Avez-vous déjà porté un de ses parfums ?
16 personnes aiment cet article.
De Marc-Antoine Corticchato, j’ai très aimé porter « TROIS FLEURS ». Ma rencontre avec ce parfum m’a fait changer de cap et soudain aimer passionnément la tubéreuse pour laquelle je n’avais que répulsion.
Je suis curieuse de découvrir LE CRI, je ne saurais pas vous dire pourquoi, peut-être à cause du rouge de l’étiquette, particulier, avec des lettres à la hampe filiforme. TABAC TABOU aussi pour la forme du A sur l’étiquette mais aussi parce que le tabac quand il est réussi, cela devient une parure portée l’hiver.
Enfin, comment s’étonner qu’un parfumeur ne soit pas en même temps cavalier, amateur de chevaux, de leurs odeurs et de leur beauté ? Jean-Paul Guerlain, aussi, avait dit aimer l’odeur du crin et du crottin de cheval. Quant à l’odeur du metro s’il s’agit de celle des années 70, c’est vrai qu’elle était une sorte de signature de Paris, une odeur aspirante, ample, charbonneuse, qui suggère la misère ; on ne la retrouve plus aujourd’hui.
Merci à Parfumista pour cette interview.
Merci Sikkim. Le Cri est très beau, à la fois subtil et signé. C’est un parfum caméléon, à mi chemin entre le chypre et le floral aldéhydé. A tester !
Un grand monsieur ! En plus, il a l’air sympa.
Corsica Furiosa et Tabac Tabou sont mes préférés. J’aime aussi beaucoup Aziyadé même si j’ai du mal à le porter et aussi Cuir Ottoman ; Belles rives est fabuleux.
Par contre moins fan du Cri, peut-être trop féminin pour moi (oui, je sais les parfums n’ont pas de sexe).
Je viens de faire la connaissance de Belles Rives de La Parfumerie Moderne et c’est ma première rencontre avec un « vrai iris » aussi.
Je ne sais pas encore si je l’aime ou pas, mais il ne me laisse pas indifférente. Ce parfum a vraiment une « texture », quelque chose d’élastique et de léger à la fois, comme une peau. Je ne suis pas sûre d’aimer l’iris, mais le trio bergamote, jasmin et tonka m’a fait fondre. C’est un parfum que je porterai volontiers au printemps.
Bonjour Iandosoa,
Une très belle fragrance en effet. Un iris plus aérien et doux que véritablement poudré.
Et un joli nom rappelant l’hôtel du même nom à Juan les Pins que fréquentèrent de nombreux artistes.
Belle journée parfumée à vous.
J’ai acheté un échantillon de « Fougère Bengale » auprès de Jovoy.
C’est absolument fantastique. Mon prochain achat, alors qu’en ce moment j’achète des parfums vintage, sera indéniablement Fougère Bengale.
Enfin un parfum actuel, d’homme, épicé, chaud, charnel !
Bonjour Jean-Sté,
Merci de votre retour sur ce très beau parfum de Marc-Antoine Corticchiato.
A bientôt sur sur Parfumista
Je porte actuellement une autre création de Marc-Antoine Corticchiato : Un Bel Amour d’Eté.
Ce deuxième floral est aussi beau que l’a été Trois Fleurs. Mais autant Trois Fleurs est ample, volubile et éclatant, autant Un Bel Amour d’Eté est pudique, quasi silencieux, fidèle.
Les deux sont merveilleux, féminins, et les porter vous embellit.
Marc-Antoine Corticchiato devrait, à mon avis, persévérer dans la création de parfums floraux.
Bonjour sikkim,
Merci de votre commentaire.
C’est un très joli parfum en effet, floral mais pas seulement. Complexe et généreux comme les précédentes créations de Marc-Antoine 😀
A bientôt sur Parfumista