Pour beaucoup, 1969 est l’année où l’homme fit ses premiers pas sur la Lune. Pour moi, c’est l’année de naissance de mon frangin et celle de la création d’un classique de Guerlain, Chamade.
Cette création élaborée par Jean-Paul Guerlain, qui a succédé à son grand-père Jacques quelques années plus tôt, s’inscrit dans un souffle vert de liberté, de révolution sexuelle et de revendications sociales.
Son nom Chamade répond au roman éponyme de l’enfant terrible de la littérature, Françoise Sagan, qui bouleversa alors les conventions bienséantes.
Pour le parfumeur, c’est un hommage aux femmes libres comme Brigitte Bardot ou Catherine Deneuve qu’il admire. Comme autrefois la chamade annonçait la reddition* de l’armée napoléonienne au roulement de tambour, son cœur bat la chamade pour la femme aimée dont il tait le nom.
Pour elle, il imagine un parfum floral vert ambré, dans la lignée de l’audacieuse modernité de Vent Vert de Balmain de 1947. Dès 1962, il esquissait déjà Chant d’Arômes, un bouquet floral aldéhydé avec un petit air de chypre, que prenaient les formes de cette « île plus verte que les rêves » chantée par le poète Saint-John Perse.
Ainsi Chamade fuse dans une verte harmonie de jacinthe, de galbanum et de bourgeon de cassis, fruité et soufré, utilisé pour la première fois en parfumerie.
Cette rupture est arrondie par un cœur opulent et plutôt classique de rose et de jasmin (avec la modernité de l’hédione). Un cœur floral complété d’ylang-ylang et d’aldéhydes, poudrés et savonneux.
Cette sensation poudreuse est rejointe ensuite par un fond ambré de type guerlinade où la vanille, le benjoin, le vétiver et le santal sensualisent cette composition irradiante et affirmée.
L’alliance des notes fraîches, fusantes et de ce fond chaleureux permet à la femme d’être encore plus séduisante. Chamade apparaît ainsi comme le parfum de la nouvelle Eve, exit la femme objet sophistiquée des années 50, vive la féminité affirmée et sensuelle !
Jean Paul Guerlain dira alors qu’ « un parfum est à sa façon un vêtement invisible, un jeu entre ce qui cache et ce qui dévoile* ».
Le flacon d’origine de Chamade, dessiné par Raymond Guerlain, ressemblait à un cœur. Il était inspiré de la coquille de la naissance de Vénus de Botticelli. Aujourd’hui Chamade n’est proposé qu’en eau de toilette et est contenu dans le flacon au bouchon au cœur inversé de 1912.
Il est certes moins opulent mais garde pour moi une joliesse permise par cet élan vert poudreux qui rappelle un autre classique lancé l’année suivante, le N°19 de Chanel et plus près de nous, le N°19 Poudré.
On remarque aussi la touche fruitée du bourgeon de cassis sur la peau, note beaucoup plus contemporaine, moderne de nos jours.
Cela dit, je regrette quand même, pour avoir porté Chamade en eau de parfum, son manque actuel de profondeur et de tenue dû à son fond moins présent… et peut-être à la présence un peu trop zestée de la bergamote.
Deux classiques de Goutal rendent hommage, je trouve, à ce grand floral de Guerlain : Grand Amour avec sa jacinthe poudrée et l’Heure Exquise, plus irisé et animalisé.
Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, je vous recommande d’aller vite découvrir Chamade tant qu’il est encore temps. Car hélas je ne suis pas certaine qu’il résiste aux reformulations et j’ai peur qu’un jour il ne soit discontinué et qu’on ne puisse le découvrir qu’à l’Osmothèque.
Avez-vous déjà senti ce classique de la parfumerie ? Quel est votre parfum ancien favori ?
(*) la chamade est initialement un bruit de trompette ou de tambour dans une ville assiégée pour capituler
(**) Thierry Wasser a repris ces mots pour La petite robe noire
7 personnes aiment cet article.
Mon parfum le plus ancien est J’ai Osé de Guy Laroche.
Un parfum qui n’est plus en parfumeries et hélas introuvable.
Je n’ai jamais senti Chamade (ou en tout cas pas à ma connaissance), mais en tant que grand amateur de parfums verts, j’imagine qu’il pourrait être intéressant à ma culture olfactive.
Quant à mon parfum ancien favori, une sacrée colle ! Pour l’Homme de Cacharel (1981) suivait mon père quand j’étais petit et j’ai pu en hériter. J’ai toujours été ébloui par cette muscade que je déteste tant en cuisine, mais qui dans ce parfum perd toutes les facettes que je trouve si désagréables…
Quant au second : L’Eau du Navigateur (1979). Encore une œuvre d’art délaissée par l’Artisan Parfumeur où des notes très masculines (boisées, cuirées et épicées) sont accompagnées par une odeur de savonnette étrange sur le papier, mais ô combien à propos dans le flacon ! Une petite merveille qu’on ne reverra malheureusement plus…
Note : oui, ils ne sont pas si vieux, mais moi je suis de 91, alors ils le sont tout de même un peu pour moi 😛
J’ai eu l’occasion de sentir ce beau parfum qu’est Chamade. Son côté vert m’avait séduite. La discontinuation de l’eau de parfum est dommage.
Guerlain se renouvelle, mais peut-être trop ?
Le parfum le plus ancien que j’ai est 1000 de Patou, qui a été lancé en 1972, mais malheureusement discontinué.