Parfumeure chez Symrise, Alexandra Carlin s’est confiée à Parfumista. Dans cette interview il est question d’art, de légumes, de carnets de voyage et de bougies parfumées. Rencontre avec une créatrice sensible et enjouée, collectionneuse d’images et de mots.

alexandra carlin bdk

ci-dessus : Alexandra avec David Benedek des parfums BDK pour le lancement de Velvet Tonka

1/ Bonjour Alexandra, pouvez-vous nous raconter comment le parfum est entré dans votre vie ?
Assez tard en fait ! C’était peu de temps avant de passer mon baccalauréat littéraire. J’ai entendu pour la première fois de ma vie un parfumeur parler de son métier à la radio et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’un créateur se cachait derrière chaque fragrance. Ça a été le déclic, j’ai changé de voie non sans difficulté afin de rentrer à l’ISIPCA. Pour l’anecdote, ce parfumeur à la radio n’était autre que Maurice Roucel… qui est devenu mon mentor chez Symrise dix ans plus tard !

2/ Vous souvenez-vous de votre première création ? 
Sûrement le parfum « Je de Hasard ». Je l’ai créé à l’Isipca avec mon amie Dora Baghriche, sous le parrainage bienveillant de Christophe Raynaud, alors chez Symrise. Une overdose d’absolu fleur d’oranger et d’ambroxan, une fortune à l’époque et encore aujourd’hui ! Ma première création vendue était une note chamallow pour un gloss Lancôme alors que je commençais chez Robertet.

3/ Cela fait 15 ans que vous travaillez sur des projets aussi riches que variés. Comment nourrissez-vous votre créativité ? 
De plein de manières différentes ! J’ai la chance d’être entourée et de travailler avec beaucoup de gens créatifs et inspirants. Il y a tout ce que je fais de manière intentionnelle, comme rencontrer des artistes, des artisans, aller dans des galeries, des expositions ou scroller sur Instagram car je suis très visuelle. Et puis il y a tout ce qui arrive souvent par hasard, des mots qui me touchent dans un livre, des rencontres, des paysages… J’ai besoin d’être stimulée en permanence.

alexandra carlin creations

Replica Matcha Meditation (Maison Margiela) Cuir-Curcuma (Affinessence), Kyoto (diptyque), Bloomastral (J.U.S) et Velvet Tonka (BDK) : quelques créations d’Alexandrin Carlin

4/ Une de vos récentes créations, Bloomastral pour la maison J.U.S, s’inspire du galant de nuit, une variété de jasmin dont on ne peut extraire l’odeur. Comment avez-vous procédé pour retranscrire le parfum narcotique de cette fleur ? 
J’ai senti le galant de nuit pour la première fois à Calcutta en Inde. Il a la verdeur benzylée du jasmin*, le fruité lactonique de la tubéreuse et le côté épicé du chèvrefeuille. N’en ayant pas sous le nez au moment de la création du parfum, j’ai pu le recréer grâce à tout ce que j’ai imprimé dans ma mémoire et noté dans mon téléphone. Ce sont à la fois des mots et des images, ainsi que des matières premières concrètes, naturelles et de synthèse bien sûr.

5/ Symrise a développé une collection d’ingrédients produits à partir de légumes. Comment ces nouvelles matières premières ont-elles enrichi votre palette ? 
Effectivement, il s’agit d’une collection d’essences que nous appelons les Garden Lab. Nous avons eu l’audace et la curiosité de tester ces nouveaux extraits utilisés par nos aromaticiens**, et nous n’avons pas été déçus ! Ces extraits sont criants de vérité, ils sentent l’artichaut, l’asperge, le chou-fleur, le poireau et l’oignon et offrent cinq odeurs inédites dans notre palette. On a encore du travail pour explorer toutes les possibilités, mais on voit déjà que certaines sont là pour apporter une texture, une amertume, du juteux, de la salivation !

6/ Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Martin Jaccard pour le Journal d’un Anosmique ? 
Martin est mon âme-sœur en parfumerie. J’ai tout de suite aimé ses pyramides synesthésiques pour décrire les parfums alors qu’il était en apprentissage à l’évaluation chez Symrise. Ma première collaboration avec JDA remonte à 2016 quand il m’a demandé d’écrire la préface du livre Première Matière. Puis après, tout s’est enchaîné avec les carnets de voyage Empreintes pour lesquels j’ai écrit un livre sur l’Inde, les expositions avec le collectif Double Séjour, les collaborations avec Pia Chevalier et Jonathan Bréchignac, les projections de films en odorama. Cela m’enrichit et j’imagine que cela rejaillit sur toute ma création.

bougie Cèdre Praliné (Récoltes)

bougie Cèdre Praliné (Récoltes)

7/ Martin Jaccard et Elodie Cottin sont à l’origine de Récoltes, un concept de bougies artisanales rythmées par les saisons. Quel est votre rôle dans cette aventure ?
Martin et Elodie choisissent eux-mêmes les duos d’ingrédients. Puis ils les attribuent à Suzy Le Helley, Marine Ipert et à moi-même. Dans la nouvelle collection hiver qui vient de sortir, j’ai créé la bougie Cèdre Praliné avec sa note boisée aux facettes chaudes et crémeuses de noisettes torréfiées, une fragrance vraiment addictive. Martin et Elodie sont de très bons évaluateurs, ils connaissent nos forces et nos sensibilités !

8/ Quels conseils pourriez-vous donner à un jeune qui souhaiterait devenir parfumeur ? 
Ne jamais rater une occasion de créer et de faire sentir. Il faut se confronter à la feuille blanche, aux goûts des autres. Créer, c’est se dévoiler et tout remettre en question, tout le temps. Aujourd’hui il y a plusieurs concours qui existent, certaines sociétés permettent aux stagiaires d’accéder au laboratoire le soir et Cinquième Sens propose un espace de coworking. Certains jeunes ont leur propre balance à la maison. Et si le plaisir et l’adrénaline sont bien là, alors il faut foncer et ne pas se laisser décourager car il y aura toujours des personnes pour dire que c’est impossible, j’en ai rencontré beaucoup.

(*) l’acétate de benzyle est une molécule présente dans le jasmin, essentiellement en note de tête

(**) personnes créant des arômes alimentaires, un métier assez proche de celui de parfumeur

Connaissiez-vous Alexandra ? Laquelle de ses créations vous tente le plus ?

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2 commentaires à “Interview parfumée : Alexandra Carlin

  1. Laure

    Une interview passionnante d’Alexandra Carlin que je découvre. Cette parfumeuse a de nombreuses cordes à son arc.
    Ses créations sont originales, mais ne me correspondent pas vraiment, sauf Bloomastral de JUS qui me tente.

  2. Anne Cabon

    Bonjour,
    En tant qu’adoratrice des bons parfums, je ne suis pas d’accord avec le commentaire précédent.
    Je trouve que cette femme nez, est très inspirante et crée des parfums qui ont l’air vraiment bons, et que j’aimerais découvrir pour certains.
    De plus, j’aime son parcours parce qu’elle n’a pas suivi au début tout du moins des études de chimie, et qu’en plus elle a été découragée par certains, et pour exercer ce très beau métier, d’après ce qu’elle dit.
    Donc, chapeau bas à cette jeune femme talentueuse, qui je l’espère créera encore de beaux parfums.

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