Lors d’un passage à Paris, le créateur de la marque Arquiste s’est confié à Parfumista. Ce passionné d’histoire et d’architecture est aussi un admirable conteur d’histoires parfumées.

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1/ Carlos Huber, bonjour. Depuis combien de temps existe Arquiste ?
J’ai lancé la marque fin 2011 aux Etats-Unis. Ça fait donc 5 ans, déjà, En Europe la marque a été lancée un peu plus tard, à l’automne 2012.

2/ Pourquoi avoir choisi ce nom ?
Le concept d’Arquiste se situe entre l’architecture et l’histoire. Pour l’histoire, je souhaitais une vraie recherche, académique, intellectuelle… et surtout authentique. Rechercher les événements et les ingrédients pour créer l’évocation olfactive d’un lieu et d’un moment précis. En fait, c’est lié à mon parcours professionnel : j’ai été à la fois architecte et conservateur. Donc cela fait vraiment partie de ma démarche créative, c’est mon modus operandi.

3/ Vos parfums ont des noms tantôt français, anglais, espagnol et même latin (Fleur de Louis, The Architects Club, Infanta en Flor, Anima Dulcis). Est-ce à l’image de votre parcours, effectué dans de multiples pays ?
L’histoire d’Arquiste, ce n’est pas mon histoire à moi, mais je me sens assez cosmopolite en effet. Je suis né à Mexico. J’ai beaucoup voyagé. J’ai passé pas mal de temps à l’étranger pour mes études, en Italie, en France. Mais j’habite depuis 10 ans à New York.
J’aime la diversité de cultures entre chaque pays. Pour les parfums, c’est pareil. Pourquoi se limiter à une culture, une nationalité, un langage, même si c’est un langage olfactif ? L’uniformisation culturelle, c’est un peu triste.

4/ En fait, chacune de vos créations olfactives fait référence à une histoire, un endroit ?
Oui, c’est tout à fait ça. Les photos que j’ai choisies pour les parfums évoquent l’ailleurs ; on s’évade non seulement dans la géographie, mais aussi dans le temps. C’est quelque chose de très… romanesque. J’aime ça, cela contribue à la magie du parfum. Ma dernière création, le duo Él & Ella, vous transporte en 1978, dans une discothèque à Acapulco.

5/ Ah oui, c’est précis…
Oui. Pour Nanban par exemple, je me suis inspiré d’un galion japonais qui traverse l’océan Pacifique vers l’Occident, rapportant des bois tropicaux, du cuir, des épices. Infanta en Flor et Fleur de Louis évoquent la rencontre entre les cours française et espagnole et l’échange de la princesse espagnole en 1660 sur l’île des Faisans. A chaque fois, ces recherches spécifiques nous donnent l’opportunité de trouver des notes réelles et authentiques. Ce n’est pas juste du marketing ! Pour moi qui suis un fan et un consommateur de parfums, je voulais que ça ait du sens. Ça m’aurait embêté que les gens disent « Ah bon, un parfum Napoléon avec une note d’ananas ? ». C’est amusant mais ça n’a pas beaucoup de sens.

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Infanta en flor

6/ En tant que fan et consommateur de parfums, quel a été votre premier parfum justement ?
Le premier que j’ai porté c’est sans doute une cologne mexicaine à la fleur d’oranger : Agua de Colonia Flor de Naranja. La marque, Sanborns, est en fait le plus grand drugstore du Mexique. Le parfum est une fleur d’oranger à l’espagnole, il est toujours en vente aujourd’hui.

7/ Y a-t-il des personnalités dans l’univers du parfum qui vous ont marqué, avec qui vous aimez collaborer ?
Les évaluateurs et évaluatrices* sont des gens que j’admire beaucoup parce qu’ils ont cette passion pour le parfum sans avoir l’inquiétude ou l’angoisse de l’aspect commercial. J’admire beaucoup cela. Parmi les parfumeurs que j’admire beaucoup, je pense à Calice Becker et à Rodrigo Flores-Roux.

8/ Oui justement, vous travaillez beaucoup avec Rodrigo Flores-Roux, un parfumeur qui connaît bien les marques de niche d’ailleurs. Comment s’est porté votre choix ?  
C’est vrai. Je comprends très bien sa façon de travailler. J’aime l’attention qu’il porte à ses clients. C’est un vrai passionné de parfums, comme j’en ai rarement connu ; c’est vraiment une chance de travailler avec quelqu’un comme lui. Il y a d’autres parfumeurs que j’apprécie beaucoup, comme Dominique Ropion, Carlos Benaim, Alberto Morillas. Ou Sophia Grojsman que je trouve incroyable. J’aime aussi beaucoup ce qu’a fait Frédéric Malle en mettant en avant les parfumeurs, leur donnant l’opportunité d’être le protagoniste de chaque création.

9/ Beaucoup de parfums dits ‘de niche’ sont mixtes. Pourquoi avoir choisi de créer un duo homme/femme pour votre dernière création ? Souhaitiez-vous raconter quelque chose de différent avec ces deux fragrances ?
J’ai beaucoup réfléchi : est-ce que je fais deux parfums qui vont être exclusivement masculin et féminin ? En fait, non, les gens aimeront sans doute l’un plus que l’autre et si les femmes veulent porter Él et les hommes, Ella, tant mieux.
En fait, c’est l’histoire des parfums qui a donné ça. On est à Acapulco dans les années 70, c’est la fin de la journée, sur la plage. La jeunesse est beaucoup plus libre qu’aujourd’hui, plus naïve sans doute aussi. C’est une histoire olfactive plus festive, plus sensuelle. Un flirt entre un homme et une femme. La peau a pris l’odeur de la chaleur, du soleil, de l’excitation de la nuit, de l’alcool et du tabac.

ella el arquiste

Je me suis inspiré de l’histoire d’Armando’s Le Club. C’était la discothèque la plus sélect d’Acapulco à cette époque. Il y avait beaucoup de lieux de fête mexicains avec noms à la française : ‘Le Club’, ‘Le Jardin’, je ne sais pas pourquoi mais c’était à la mode.

10/ Quels ingrédients avez-vous privilégié pour ce duo ?
Pour Él (‘lui’, en espagnol), j’avais cette idée d’une masculinité virile mais pas agressive, un latin lover un peu coquin.
Comme ingrédients, on a des notes aromatiques (romarin, lavande, sauge sclarée, cardamome…), un accord miel de sarrasin, sur un fond boisé de vétiver et mousse de chêne. C’est un accord fougère avec aussi des facettes très animales : civette, castoréum…
Pour Ella, j’ai imaginé une femme latine à la peau bronzée, habillée, maquillée mais très chic. Autour de la rose turque et du jasmin, nous avons choisis avec Rodrigo Flores-Roux et Givaudan la couroupita, une fleur typique d’Amérique du Sud. On retrouve le miel de sarrasin, la cardamome, les notes animales et le vétiver. Mais c’est plus chypré et on a aussi travaillé un accord fumée de cigarette. Les parfums se réchauffent sur la peau, ils font ressortir le côté animal, humain de la peau. D’ailleurs, vous pouvez même les mélanger.

11/ Carlos Huber, quel(s) parfum(s) d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ? Pourquoi ?
J’adore Sycomore de Chanel, un des plus beaux vétivers sur le marché. Quoi d’autre ? ck one de Calvin Klein qui m’évoque beaucoup de souvenirs d’adolescence et qui a une vraie signature. J’aime aussi Champaca Absolute, une création de Rodrigo Flores-Roux pour Tom Ford. A vrai dire, j’aime tellement la senteur de cette fleur que c’en est dommage. A chaque fois que l’on a essayé de travailler le champaca, cela m’évoquait Champaca Absolute.

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Sycomore (Chanel), ck one (Calvin Klein), Champaca Absolute (Tom Ford), Agua de Colonia Flor de Naranja (Sanborns)

12/ Et hormis le champaca, avez-vous des odeurs favorites ? D’autres que vous n’aimez pas ?
Dans la nature, j’adore l’odeur du gardénia. Parmi celles que je n’aime pas : l’odeur du sang, de la maladie, de l’hôpital. Je n’aime pas trop non plus l’odeur de la rue le matin après un weekend de fête, les gens se sont trop amusés, ce n’est pas encore nettoyé. Mais bon, il suffit de changer de trottoir.

13/ On peut imaginer que ce sont des odeurs qui peuvent être assez agressives lorsque l’on est créateur de parfum.
Oui mais en fait c’est bizarre parce que… cela fait partie de notre éducation. En somme on est habitués à ce qu’il n’y ait pas de mauvaises odeurs. Et les gens ont des réactions physiologiques à ces senteurs. Par exemple la civette et les notes animales, moi non plus, je ne peux pas. Diluées dans les parfums, ça peut être agréable, mais j’avoue que je fais toujours la grimace quand je les sens pures. (rires)

14/ Carlos Huber, quel est votre luxe à vous ?
Le repos. Pas d’email sur le portable, ou pas besoin d’y répondre ! Pour moi le luxe, ce sont aussi les jours fériés. Personne ne travaille, tout va bien. Le programme est simple : se reposer et être avec la famille et les amis.

(*) Les évaluateurs et évaluatrices travaillent conjointement avec les parfumeurs. Ils les aident dans leurs recherches et traquent les qualités et défauts des propositions créatives (tenue, performance, variation entre deux essais…).

Connaissiez-vous la marque et le créateur ? Quelle fragrance vous tente le plus ?

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3 commentaires à “Interview parfumée : Carlos Huber, d’Arquiste

  1. Le chat

    Bonsoir,
    Très bel article sur Arquiste et son talentueux créateur.
    J’ai eu plaisir à porter Anima Dulcis ( âme douce) son nom lui va si bien. Un cacao chaud et amer où infuse un beau piment rouge suivi d’une envolée de fleurs blanches, saupoudré de cannelle ou tourbillonnent vanille et épices.
    Un parfum envoûtant, réconfortant qui diffuse ces belles effluves toute la journée pour finir en un doux parfum de peau.
    Belle soirée et beaux rêves parfumés

  2. Laure

    Bonsoir,

    Merci pour cette interview de Carlos Huber d’Arquiste que j’ai pris plaisir à lire et à découvrir car je connais très peu.

    Anima Dulcis, dont Le Chat fait l’éloge est bien tentante.

    Belle soirée parfumée.

  3. Coromandel

    Merci pour cette interview 😀
    Je connais Flor y Canto, une tubéreuse que je trouve plutôt fraîche et lumineuse.
    Je l’aime bien mais elle ne m’apprécie pas… La tubéreuse s’envole vite et je ne sens plus qu’un joli bouquet de fleurs blanches, très facile à porter et agréable mais pas assez « pêchu » pour moi.
    Je ne connais pas Anima Dulcis, mais l’association cacao et piment me parle beaucoup!

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