En 2006 chez Guerlain, Sylvaine Delacourte coécrit avec la parfumeure Annick Ménardo un parfum oriental boisé inédit que la maison nomme Bois d’Arménie. Une pépite de la collection L’Art et la Matière.
Connaissez-vous le papier d’Arménie ? On a tous utilisé ces petits carnets aux bandelettes prédécoupées, pour les laisser se consumer en volutes vanillées. Avec Bois d’Arménie, Guerlain propose une interprétation sublimée de ce célèbre papier, brûlé en encens dans les maisons pour parfumer ou purifier l’atmosphère.
Ce sont le chimiste Auguste Ponsot et le pharmacien Henri Rivier qui en eurent l’idée en s’inspirant d’une tradition séculaire arménienne qui consiste à faire brûler des larmes de benjoin comme encens pour désinfecter et apporter cette senteur réconfortante dans les foyers. Les deux créatrices décidèrent d’explorer les possibilités de cet ingrédient dans une composition où il est l’élément phare.
Si Bois d’Arménie s’ouvre sur des arômes fusants d’encens métallique, de baies roses piquantes que contrebalancent les notes poudrées de l’iris, il se fond rapidement dans un cœur ambré de benjoin. Celui-ci est entrelacé de baume de Copahu et des notes boisées de gaïac et de patchouli.
Pas de bouquet fleuri dans ce parfum mais une dominante résineuse, puissante, comme un onguent oriental énigmatique. Cette composition est dominée par le benjoin, qui lui confère son caractère unique et sa longévité exceptionnelle.
Le benjoin minutieusement choisi ici est celui du Laos (styrax tonkinensis), riche en notes vanillées, amandées, miellées, florales, lactées, liquoreuses, avec un effet beurre de cacao. On comprendra alors les multiples impressions olfactives que peuvent produire un tel ingrédient !
Il en résulte un parfum ambré, chaud, oriental, un peu gourmand par ses notes vanillées mais qui en évite l’écueil en s’obscurcissant par les notes boisées précitées de patchouli indonésien et de bois de gaïac du Brésil. L’ensemble paraît ainsi plus « sec », moins rond. Comme un encens mystique, rafraîchi aussi par une note de coriandre anisée. Les muscs finissent par lui conférer un sillage enveloppant et caressant, qu’adoucit encore le baume du Copahu, en évoquant des images de soirées au coin du feu dans des contrées lointaines.
Le spectre olfactif riche du benjoin lui confère l’avantage de se marier à de nombreuses notes. Ainsi, on le retrouve dans des compositions mythiques telles qu’Habanita de Molinard moins suave et associé au vétiver, Opium d’Yves Saint Laurent couplé aux épices ou dans Soir de Paris de Bourjois marié à une gomme balsamique issue d’un arbre, le baume de liquidambar. Mais on pourrait aussi citer L’Instant de Guerlain, où il participe à la désormais culte guerlinade. Paradoxalement, alors que le benjoin ne semble pas dominant, Kenzo Amour ressemble étrangement sur moi à Bois d’Arménie.
Depuis son lancement, Bois d’Arménie est synonyme d’élégance et d’exotisme. Il a ouvert la voie à des explorations plus audacieuses dans le monde du parfum où l’aspect narratif et la provenance des ingrédients sont devenus aussi importants que la fragrance elle-même. De plus, il a renforcé la réputation de Guerlain en tant que pionnier dans l’utilisation de résines et de bois rares en parfumerie.
Bois d’Arménie offre ainsi une leçon magistrale sur la manière dont tradition et modernité peuvent se rencontrer pour créer quelque chose d’unique. Ce parfum mixte s’apprécie selon moi de façon intime comme un parfum de peau.
Je le trouve d’une douceur presque nostalgique et il m’évoque la chanson populaire d’Isabelle Mayereau. Une Bordelaise qui remporta le premier prix du festival international de la chanson française de Spa en 1978 avec le titre phare « Tu m’écris », et dont la première strophe chantait :
« Tu m’écris, tu m’écris
Sur papier d’Arménie,
Des mots à, des mots à
A parfumer mon lit »
Et vous, quels parfums vous transportent ? Connaissez-vous Bois d’Arménie ?
6 personnes aiment cet article.
Superbe texte que mérite bien ce très beau Bois d’Arménie. Je l’ai porté au début de sa sortie, je le réservais pour les soirées fraîches.
J’en ai le souvenir d’un parfum de peau, enveloppant, boisé, sec, chaud et crépitant mais bien présent jusqu’en fin de journée.
Si je devais évoquer les paroles d’une chanson je choisirais « Le papier d’Arménie » de R. Wan cette chanson est un hommage au peuple arménien.
Le papier d’Arménie parfume tous les airs,
d’une mélancolie jaillie d’une autre ère.
Il brûle mes hivers, pèse ma souffrance
Souvenirs d’une terre où c’était Byzance…
Jusqu’à aujourd’hui, je ne connaissais pas le papier d’Arménie. Ce serait intéressant d’essayer…
Concernant le parfum, je me méfie un peu de Sylvaine Delacourte qui ne m’a pas du tout convaincu avec les créations de sa marque, mais vous avez le phrasé pour vendre ce parfum, alors je l’essayerais peut-être si je croise sa route.
Pour ce qui est de la description que vous faites du benjoin, je suis tout à fait d’accord. La première fois que j’ai essayé de mélanger des matières, je l’avais utilisé pour court-circuiter une cologne, couplé à du labdanum !
Etrange idée, ma professeure avait haussé un sourcil ; et pourtant ! Le résultat n’était pas mal du tout. C’est dire comme le benjoin est une matière accommodante. Elle me fait penser à quelqu’un de très sociable qui n’hésite pas à aborder tout le monde en soirée.
C’est un doudou en soi !
Magnifique billet sur ce parfum d’exception qu’est Bois d’Arménie, merci.
La pyramide est très Guerlain quand on la regarde de près.
J’avais en son temps fait brûler du papier d’Arménie (carnet vert).
Toutefois, il était un peu irritant pour moi…
Bon week-end !