Parfumeur dans la société de création Givaudan, Shyamala Maisondieu s’est confiée à Parfumista sur son métier. Elle nous parle de senteurs végétales et boisées… mais aussi de photographie, de poésie et d’étoiles. Rencontre avec une créatrice de parfums attachante.
1/ Bonjour Shyamala, pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ?
Ma première vraie rencontre avec le parfum, mon premier choc olfactif, ça doit être Poison de Dior. J’étais encore à l’école en Malaisie, mais ça m’a chamboulée. Ça peut sembler atypique pour le climat tropical que nous avions en Malaisie mais quelque chose dans la construction du parfum m’a frappée. Cette floralité capiteuse et ce caractère crémeux m’ont aimantée. Et je dirais que la singularité de Poison a vraiment été importante pour moi. J’étais loin de me douter que quelques années plus tard, je travaillerais pour la société qui avait créé le parfum. Encore moins de rencontrer le parfumeur*.
2/ Vous souvenez-vous de votre première création ?
Ma toute première création, ça doit être un accord que j’avais réalisé à l’école de parfumerie à Grasse. Ce qui est amusant c’est que le parfum s’appelait Grass. Pas de fleurs ou de fantaisie mais une senteur d’herbe fraîchement coupée. Un souvenir d’enfance où je courais pieds nus dans une prairie verdoyante recouverte de rosée.
3/ A titre personnel, dans la vie de tous les jours quelles odeurs vous font vibrer ?
Toutes les odeurs des plantes et de la nature me font vibrer. En ce moment c’est plus particulièrement le vétiver. Sûrement à cause de mon récent voyage à Haïti, mais aussi pour la sensualité qu’apporte cette odeur mystérieuse, envoûtante, pleine de facettes. Je suis dans l’avion et je porte simplement une solution alcoolique de vétiver. Rien d’autre et c’est divin. L’essence de vétiver est un parfum en soi. Parmi les autres ingrédients qui me font vibrer, il y a eu l’iris au début de l’école de parfumerie, mais aussi l’ambrette ou l’ylang ylang qui me transporte en Malaisie. J’ai une attirance intense aussi pour tout ce qui est baumé, doux, chaud, enveloppant : la fève tonka, le benjoin, le baume tolu, le baume du Pérou.
4/ Y a-t-il à l’inverse des odeurs que vous aimez moins ou pas ?
J’essaie de réfléchir à des odeurs que je n’aime pas et à vrai dire je ne trouve pas. J’aime toutes les odeurs et je pense que je suis dans ce métier parce que je suis une amoureuse des odeurs et pas forcément du parfum. J’essaie de les sublimer, même celles qui dérangent ou qui ne sentent pas bon pour certains, en jouant justement sur les facettes positives. Dans ma vie en général je cherche toujours à trouver du bon dans ce qui m’entoure, et je pense il y a du bon même dans les plus mauvaises choses. C’est la face cachée qui m’intéresse.
5/ Cuisine, art, voyages, photo… en tant que créatrice, quelles sont vos influences ? Avez-vous quelques anecdotes à ce sujet ?
Toutes les formes d’art m’inspirent. Mais l’inspiration peut aussi naître de la rencontre de personnes et de leurs histoires. C’est un sujet vaste pour moi : j’adore voyager, cuisiner, rencontrer des gens, prendre des photos, écouter de la musique, aller au musée, peindre, écrire… Les idées de parfums viennent de tout cela, c’est une accumulation de ces moments et émotions qui m’inspirent. Bois Marocain de Tom Ford par exemple est issu d’une discussion avec Karyn Khoury autour d’un article sur le Maroc paru dans Bloom, un magazine de Li Edelkoort**. Je me suis inspirée d’une sculpture en bois de thuya que ma belle-sœur m’avait apporté de son voyage au Maroc. Pour Eau de Sisley 3, l’idée est née d’une limonade au gingembre, en dualité avec le patchouli.
6/ Y a-t-il d’autres destinations qui vous ont enthousiasmées ou inspiré des parfums ?
Au-delà du Maroc, il y a l’Italie et sa richesse en agrumes pour la création de Blu Mediterraneo Bergamotto di Calabria d’Acqua di Parma. Palo Santo de Carner, c’est mon imagination de l’Amérique du Sud et son côté mystique chamanique. Pour Oud Minérale, je me suis inspirée de toutes ces plages rocheuses, minérales.
7/ Quelles personnalités du monde de la mode ou du parfum admirez-vous ?
J’adore, j’a-do-re la folie esthétique et noire d’Alexander McQueen de son vivant ! Son travail avec les animaux, les plumes, cette beauté inspirée de la nature, ça me parle énormément. J’admire aussi beaucoup la féminité très affirmée chez Yves Saint Laurent qui permet aux femmes d’être fortes et libérées et en même temps d’assumer et d’exprimer leur côté masculin. Je dirais aussi Martin Margiela pour sa simplicité et son minimalisme très étudiés, très réfléchis.
8/ Quel(s) parfum(s) d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ?
Étant une amoureuse de l’iris et de Chanel N°19, j’aurais bien aimé créer Infusion d’Iris de Prada. C’est un parfum qui a su recapturer l’iris dans une forme moderne.
9/ Quelles tendances originales voyez-vous pour les prochaines années ? Nos lecteurs ont parfois l’impression que les marques ne lancent que des senteurs gourmandes. La tendance est-elle partie pour durer ?
C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre. Je pense que les tendances se créent sur le moment par une forme d’adhésion à quelques notions fortes qui parlent à la fois aux créateurs et aux consommateurs. Pour moi il est difficile de prédire ce que va être la tendance, car c’est un phénomène collectif. Il est possible que je sois en train de travailler sur un parfum que je pense adapté à la prochaine tendance, mais si le public ne suit pas, ça ne deviendra pas une tendance. Ce que je vois en ce moment c’est qu’il y a un a un vrai retour des grands floraux. Ça équilibre la tendance gourmande. La gourmandise est en vogue depuis longtemps mais je trouve qu’il y a eu avec le temps une sophistication dans son approche et la maîtrise des matières premières. Si cette tendance est là et reste forte depuis si longtemps c’est aussi parce que les consommateurs s’y retrouvent.
10/ Si vous n’aviez pas été parfumeur, quel autre métier auriez-vous rêvé d’exercer ?
La poésie dans la vie c’est quelque chose de très important pour moi. La parfumerie m’a permis d’exprimer cette poésie, avec un côté scientifique que j’ai aussi besoin d’explorer et d’utiliser. Petite, j’ai rêvé d’être astronome, c’était mon côté scientifique qui parlait. Mais j’ai toujours une passion quand je regarde les étoiles. Si je n’étais pas parfumeur, je pense que j’aurais aimé être photographe d’étoiles. Ça me permettrait d’exprimer une forme de poésie dans un domaine scientifique.
11/ Shyamala Maisondieu, quel est votre luxe à vous ?
Mon luxe à moi, c’est d’être libre et de pouvoir rire tous les jours.
(*) Edouard Fléchier
(**) Défricheuse de tendances spécialiste de la mode, elle dirige aussi Bloom, publication inspirée par l’art floral.
Et vous, connaissiez-vous Shyamala ? Quel parfum ou tendance olfactive évoqué(e) ici vous tente le plus ?
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Je découvre à la lecture de cette interview passionnante que Shyamala Maisondieu a créé, entre autres, le célèbre Charogne d’ELO, un cuir plutôt doux et à l’opposé de sa dénomination.
Parmi les tendances évoquées, le retour des grands floraux ne peut que me réjouir 😉
Bonjour Laure,
Merci de votre message.
Oui, en dépit de son nom, Charogne est une très jolie fragrance !