Parfumeur chez Symrise après avoir longtemps officié chez IFF, Aliénor Massenet s’est confiée à Parfumista. Art, gastronomie, voyage, échanges… Rencontre avec une créatrice de parfums aux inspirations multiples.
1/ Bonjour Aliénor, pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec le parfum ?
Mes premiers souvenirs olfactifs sont essentiellement liés aux matières premières du Sud de la France. A l’âge de 10 ans, j’ai acheté mon premier soliflore chez un artisan de la région, dont la dominante florale était le muguet. A mes 12 ans, j’ai commencé à porter des parfums plus gourmands, composés de vanille, comme Shalimar de Guerlain et Loulou de Cacharel.
2/ Vous souvenez-vous de votre première création ?
Ma première création est une bougie parfumée que j’ai réalisée à l’âge de 19 ans, garnie de lilas et de pêche. Inspirée, j’ai ensuite créé une bougie au lys pour mon mariage. Ma passion pour l’olfaction m’a amené à créer mon premier parfum en 2002 avec Pierre Wargnye : Intuition for men d’Estée Lauder.
3/ A titre personnel, dans la vie de tous les jours quelles odeurs vous font vibrer ? Y a-t-il à l’inverse des odeurs que vous aimez moins ou pas ?
Toute odeur correctement dosée me fait vibrer. Enfant, j’ai d’abord remarqué l’odeur de la peau, une odeur musquée qui m’apaisait et qui aujourd’hui influence encore mes créations. Puis j’ai découvert les odeurs spirituelles comme l’encens ou le labdanum qui font partie de mes ingrédients signatures. Je m’inspire également des fleurs de saison que j’apprécie sentir chez le fleuriste et l’odeur de la rose qui me remémore les rosiers de la maison de campagne de mes parents. Enfin, je dirais les notes gourmandes, sans aucun doute. A l’inverse, toute odeur beaucoup trop dosée n’est pas agréable.
4/ Vous citez les notes gourmandes. La gastronomie vous influence-t-elle ?
Oui, l’art culinaire m’inspire beaucoup. J’ai créé un accord autour du rhum et du whisky qui a donné naissance à trois parfums : Replica Jazz Club de Maison Margiela, Joop! Homme Wild de Joop! et Born Original for him d’Adidas. J’ai également utilisé la feuille d’huître* pour les créations Isle of Man de Frapin, Elisabethan Rose de Penhaligon’s et Run Wild for her de Davidoff plus récemment.
5/ Vous avez récemment créé un parfum pour Buly, dans une collection inspirée par les chefs d’œuvre du Louvre. L’Art semble influencer vos créations. Avez-vous d’autres anecdotes à ce sujet ?
Je m’inspire quotidiennement de l’Art. J’ai consacré une partie de mes études à l’étude de l’histoire de l’art et de la psychologie. En tant que créatrice j’ai été influencée par des peintres impressionnistes tels que Monet. Ce dernier travaillait sur des thèmes comme les nymphéas qu’il a déclinés ensuite. Je fais un peu pareil. Je travaille avec des accords très créatifs que j’habille différemment. Dans le mouvement cubiste, Picasso déforme des thèmes classiques pour en faire des thèmes modernes, avec des structures géométriques. Cela m’a aussi beaucoup inspirée. Enfin, j’échange souvent avec Guillaume Gallienne sur l’art. Nous avons fait le constat suivant : le parfumeur a une palette d’ingrédients variable qui est tout le temps en mouvement grâce aux nouveaux captifs. C’est donc un nouveau nom, une nouvelle couleur qui rentre dans notre palette. Contrairement à un comédien qui réinterprète et évolue avec le même langage.
6/ Intéressant ! Un échange atypique mais inspirant…
L’inspiration vient parfois aussi du quotidien, lorsque j’écoute une conversation par exemple. J’ai fait plein de rencontres au cours de ma carrière, notamment avec les clients pour qui je travaille. Des rencontres toutes très différentes et riches. Je crée pour eux et avec eux. Une des rencontres qui m’a marquée est celle avec la danseuse étoile Clairemarie Osta avec qui j’ai longuement discuté de la notion du temps.
7/ Vous avez créé de nombreux parfums pour Memo, marque inspirée par le voyage. Au-delà de cette aventure, y a-t-il une destination de voyage qui vous a enthousiasmée, voire inspiré un parfum ?
Les visites et l’observation de la nature au cours de mes voyages m’inspirent beaucoup. J’ai voyagé en Egypte, au Caire et à Louxor il y a quelques années. De ce voyage, j’ai créé un accord ambré avec des notes de labdanum et de myrrhe, des ingrédients phares de mes compositions. J’ai également voyagé en Inde au Rajasthan. A la suite de ce voyage, j’ai travaillé un accord de bois de santal qui m’a permis de faire trois parfums dont Fabulous me de Paco Rabanne en 2019. Le bois de santal est beaucoup utilisé dans de nombreux temples bouddhistes et hindouistes. Les voyages me nourrissent beaucoup.
8/ Quelles personnalités du monde de la mode et du parfum admirez-vous ?
Il y a plusieurs personnalités du monde du parfum que j’admire. Edmond Roudnitska tout d’abord, un très grand parfumeur. Il avait une vraie vision. J’aime beaucoup une de ses citations : « Selon moi, aucune préparation scolaire ou universitaire ne peut favoriser l’intuition, c’est quelque chose d’inné. L’intuition c’est ce qu’il y a de plus important, pour faire un parfum signé, l’intuition est indispensable ». Il y a également Sophia Grojsman, créatrice de Paris d’Yves Saint Laurent et Trésor de Lancôme, deux sublimes parfums. Elle m’a beaucoup donné. Enfin Pierre Wargnye, l’auteur emblématique de Drakkar Noir de Guy Laroche et de Metropolis d’Estée Lauder.
9/ Quel(s) parfum(s) d’un autre créateur auriez-vous aimé créer ?
J’aurais aimé créer Angel de Thierry Mugler, Ambre Antique de Coty ou Poison de Christian Dior. Il y a tellement de magnifiques parfums !
10/ Si vous n’aviez pas été parfumeur, quel autre métier auriez-vous rêvé d’exercer ?
J’aurais adoré être danseuse étoile ou infirmière.
11/ Quelles tendances voyez-vous pour les parfums demain ?
Créer des parfums sans alcool construits à partir de la chimie verte, avec des ingrédients « sustainable »*** et qui respectent la planète. Une autre tendance serait de revenir aux années 1905-1940 où les parfumeurs étaient des artistes. Ils étaient écoutés.
12/ Aliénor Massenet, quel est votre luxe à vous ?
Le temps… le temps d’écouter mon intuition.
(*) Aussi appelée mertensie maritime ou huître végétale, c’est une plante vivace de la même famille que la bourrache. Les feuilles sont utilisées en cuisine, idéalement crues.
(**) Autres parfumeurs sur sur la photo : Delphine Lebeau, Domitille Michalon Bertier, Dorothée Piot, Sidonie Lancesseur, Daniela Andrier, Annick Ménardo et Jean-Christophe Hérault
(***) durables, au sens de développement durable
Connaissiez-vous Aliénor Massenet ? Avez-vous déjà testé un de ses parfums ?
6 personnes aiment cet article.
Bonjour,
J’ai porté il y a quelques années le superbe Shams. Un bel oriental riche, chaud au sillage intense qui vous enveloppe d’une belle aura de résines !
Bonjour Daniel, merci de votre commentaire.
Oui, un bel oriental créé par Aliénor pour Memo.
Un oriental chaud et lumineux dont le nom arabe signifie Soleil, explique la marque.
Le oud est une des notes clé mais traitée avec beaucoup de subtilité.
A bientôt sur Parfumista…
Bonjour,
J’aime beaucoup cette notion d’intuition mise en avant dans l’élaboration d’un parfum, ce petit plus inexplicable qui lui donne son âme.
Cet article montre bien qu’un bon chimiste ne fera pas forcément un bon parfumeur (et quelque part , c’est rassurant).
Même si la chimie ouvre d’autres pistes créatives, le parfum reste avant tout un art !
Merci Marie-Solange,
Oui, l’intuition change tout ! La technique et le savoir ne font pas tout, vous avez raison.
D’ailleurs, pour Aliénor, c’était peut-être prédestiné que sa première création s’appelle justement… Intuition.
Beaucoup d’informations très intéressantes dans cet entretien !
Je suis bien d’accord avec Mme Massenet pour dire que le labdanum est une matière fascinante. Je suis un peu moins fan de l’encens, mais mon parfum préféré, Passage d’Enfer, étant construit autour de cette matière, je ne peux pas dire que j’y reste insensible…
Et Guillaume Gallienne. Quel contact vous avez là Mme Massenet ! Un grand artiste avec qui il doit être agréable de discuter !
Quant aux parfums évoqués, je dois dire que, même si en grand lecteur je souhaitais me pencher sur Whisper in the Library, Jazz Club avec cette fameuse note rhum-whisky me semble soudain bien tentant !
Et qu’ajouter à cette constatation que Mme Massenet a très bien formulée : les parfumeurs ne sont plus considérés comme des artistes que par quelques initiés clairvoyants. Et pourtant… Leur créativité, leurs sens, et cette fameuse intuition dont il est question dans cet article sont bien l’apanage des artistes.
Article très intéressant, comme toujours !
Merci de votre message !
Les Margiela dans leur ensemble sont très intéressants.
Certains sont plus commerciaux, d’autre plus pointus mais la qualité est au rendez-vous et les prix sont relativement accessibles, ce qui est appréciable.
Reste la question du genre sur lequel on n’est pas toujours d’accord avec la marque.
Bonne journée et à bientôt sur Parfumista
Bonsoir,
Une interview très intéressante sur le parcours d’Aliénor Massenet.
J’aime beaucoup sa manière de travailler un parfum. La parfumerie est un Art avant tout… aspect parfois délaissé au détriment du rendement et des sorties.
Un Art où se mêlent plusieurs arts…
Je ne connais pas les créations d’Aliénor Massenet olfactivement parlant. J’ai toutefois porté Elisabethan Rose de Penhaligon’s avant reformulation (sur ma peau, une rose terreuse et surannée tout de même). La version rajeunie d’Aliénor Massenet est tentante. J’espère qu’elle reste dans l’esprit du jus que j’ai connu.
Agréable soirée